Les allures d'entrainement

De toutes les allures d’entrainement, l’allure spécifique est certainement celle qui retient le plus l’attention des traileurs. Après tout, c’est en courant comme un traileur qu’on devient traileur. Sauf que ce raisonnement a ses limites. D’une part, parceque chaque intensité de travail présentera des intérêts et des inconvénients sur le plan des adaptations physiologiques du coureur. D’autre part parceque certaines intensités fatiguent plus l’organisme que d’autres (ce ne sont pas forcément celles auxquelles on pense). Certes, nous aurons tous en tête que :

  • l’allure modérée maintenue longtemps optimisera l’oxydation des lipides ;
  • l’allure soutenue développera les capacités cardio-pulmonaires ;
  • l’allure spécifique améliorera l’efficacité gestuelle.

Mais une fois que l’on a dit ça, quelle allure privilégier ? Comment planifier ces différentes intensités ? Quelles sont les allures les plus éprouvantes pour l’organisme ? Une revue de littérature sur la question semble nécessaire afin de faire le point sur nos différentes pratiques. 

L’allure spécifique

Nous l’avons dit en préambule, le travail à allure spécifique permet d’optimiser son coût énergétique. A l’image de la consommation d’un véhicule pour 100 km, le coût énergétique exprime l’efficience du coureur : il s’agit de l’énergie dépensée pour une distance donnée. En trail, qui plus est sur un ultra, cette donnée est fondamentale. Pour une même VMA (vitesse maximale aérobie), un coureur pourra être beaucoup plus économique qu’un autre, prolongeant ainsi la disponibilité de son glycogène musculaire et hépatique.

Outre des facteurs morphologiques et anthropométriques bien évidents (taille, poids, longueur des segments…), le coût énergétique sera dépendant du travail mécanique : relâchement, fréquence gestuelle, technique de la foulée… L’idée n’est pas ici d’approfondir les déterminants propres à l’efficience du coureur, mais bien de considérer que l’allure spécifique permet au coureur d’optimiser cette efficience (Beneke R et M Hutler. The Effect of training on running economy and performance in recreational athletes ; 2005). Ainsi, ce que G.MILLET appelle le « Long Slow Distance » est une allure fondamentale. Mais c’est bien connu, en trail comme dans la vie, il ne faut pas abuser du LSD !

Le H.I.I.T parade

A l’opposé de l’allure lente adoptée régulièrement (trop ?) par le traileur, se trouve un concept en vogue : le HIIT (High-Intensity Interval Training). Cette méthode connait un réel succès dans le monde du fitness, où il faut obtenir toujours plus de résultats pour toujours moins de temps. Et le pire dans tout ça, c’est que ça marche ! Même en trail ! Enfin en trail ça court…

Dans notre discipline, le HIIT consiste à courir à des allures VMA voire supérieures à VMA. Ceux qui ont quelques notions de physiologie se demanderont comment un travail dit « anaérobie lactique » (puisque l’allure est supérieure à la VMA) peut améliorer l’endurance du traileur. En réalité, le terme « anaérobie » est galvaudé, nos muscles n’étant jamais complétement indépendants de l’oxygène. En effet, à intensité élevée, l’énergie est en partie fournie par l’oxygène présent dans les fibres musculaires, au sein de protéines qu’on appelle myoglobine. La filière qu’on qualifie à tort d’ « anaérobie » développe donc la puissance… aérobie. Voilà de quoi rompre la monotonie dans l’entrainement du coureur de longue distance. 

Le coureur bipolaire

De prime abord, les deux allures abordées précédemment (l’une faible, l’autre très intense) ne semblent pas compatibles pour une seule et même personne, pour un seul et même plan d’entrainement. Et pourtant, les entraineurs de sportifs d’endurance vouent une importance considérable à ce contraste d’allure à travers le concept d’entrainement polarisé. Ce dernier a pour principe la loi du tout ou rien : soit on travaille à une allure très intense, soit on travaille à une allure très faible. La distribution généralement retenue pour illustrer ce concept est de 80% de travail à basse intensité pour 20% à haute intensité. On est proche de l’observation de marathoniens d’élite. En 2000, des physiologistes (Billat VL, Demarle A, Slawinski J, Paiva M, Koralsztein JP. Physical and training characteristics of top-class marathon runners ; 2001) ont réalisé une étude sur des marathoniens de niveau international : ils sont arrivés à la conclusion que ces coureurs s’étaient entrainés à 78% en zone 1 (faible intensité), 4% seulement en zone 2 (alors qu’il s’agit de l’allure marathon) et 18% en zone 3 (haute intensité). Le schéma ci-dessous illustre les différentes répartitions d’allures entre l’entrainement classique, l’entrainement que l’on peut trouver chez certains (ultra) traileurs et l’entrainement polarisé observé chez des sportifs d’endurance élite. 

Distribution des différentes formes d'entrainement selon l'intensité, dont l'entrainement polarisé

Distribution des différentes formes d’entrainement selon l’intensité, dont l’entrainement polarisé

L’engloutissement du trou noir

Au regard de ces précédentes observations, on est loin des pratiques d’entrainement qui se sont érigées en « incontournables » au fil des années. En effet, la zone 2, celle dont vous aurez compris qu’elle est à éviter, se situe entre les deux seuils : le seuil ventilatoire 1 (ou seuil aérobie) et le seuil ventilatoire 2 (seuil anaérobie). Sans entrer dans de plus amples considérations physiologiques, retenons que le premier se situe à environ 70% de la VMA, une allure que nous sommes capables de tenir (en condition de course) en moyenne 6-7h. Le second se situe quant à lui à 85% de VMA, vitesse soutenable un peu plus d’1h. En définitive, un bon coureur devrait éviter de s’entrainer trop souvent entre l’allure semi-marathon et l’allure 100 km. Et un coureur novice entre l’allure 10km et l’allure marathon. Or il se trouve qu’il s’agit justement d’une vitesse régulièrement travaillée lors de ces fameuses séances de « seuil », parfois appelé Endurance Maximale Aérobie.

Nous l’avons évoqué, la zone 1 (allure inférieure à 70% de la VMA) augmente la capacité de notre organisme  à oxyder les lipides, tandis que la zone 3 (allure supérieure à 85% de la VMA) développera notre puissance aérobie. Mais qu’incrimine-t-on au juste à la zone intermédiaire ? En somme, de n’être pas assez intense pour produire des adaptations physiologiques, mais d’être suffisamment intense pour épuiser l’organisme. Et pourtant les séances de seuil font florès sur les stades ! Sans chercher d’excuses modérons tout de même le propos ! Le trail est une discipline en bas âge et les connaissances sur l’entrainement en perpétuelle évolution. La vérité d’aujourd’hui sera peut-être le gros mensonge de demain. Mais quand même, à titre personnel, je me dis que si la zone 2 est controversée pour les athlètes qui en auraient le plus besoin (c’est-à-dire ceux pour qui la zone 2 correspond à l’allure spécifique : marathoniens et semi-marathoniens), à quoi bon la travailler pour un traileur qui aura une vitesse de course se situant dans la zone 1 ? De façon plus triviale,  pourquoi se crever le derrière pour une allure qu’on n’aura pas l’occasion de reproduire en course ?

Peut-être sommes-nous systématiquement attirés par ce que le physiologiste Stephen Seiler appelle « le trou noir de l’intensité ». Une zone dans laquelle on est irrémédiablement happé si l’on n’y prend pas garde : soit nous effectuons nos sorties longues trop rapidement, soit nos effectuons nos séances de fractionné trop lentement. A sa manière, Guillaume MILLET illustre bien le propos : « Entraine-toi trop difficile les jours faciles et bientôt tu t’entraineras trop facile les jours difficiles » (Ultra-trail : plaisir, performance, santé).

 % VMA

– 60%

60-65%

65-70%

70-75%

80-85%

85%

90%

95%

100%

110%

120%

Temps limite de maintien

11h et +

9 à 11h

7 à 9h

6 à 7h

2h à 2h30

1h à 2h

30’ à 1h

10 à 15’

5à 7’

3 à 4’

1’45 à 2’

Zone

Zone 1

Zone 2

Zone 3

%VMA, temps de maintien et zone interdite 

Réflexion sur la programmation des allures

En résumé de tout ce qui précède, nous retiendrons :

  • La zone 1 correspondant aux allures inférieures à 70% de la VMA optimise l’oxydation des lipides. Par ailleurs, elle correspond à l’allure spécifique pour de nombreux traileurs : ultra, trail long et coureurs novices en trail court. Elle est à ce titre indispensable ! Au passage, cette zone comprend la rando-course ainsi que la randonnée. Des allures à ne pas oublier !
  • La zone 2, entre 70 et 85% de la VMA, est la « zone interdite ». Toutefois, parcequ’elle correspond à l’allure spécifique de certaines catégories de coureurs, je ne la poubelliserai pas définitivement : marathoniens, semi-marathoniens et experts en trail court trouveront un intérêt à la travailler de temps à autre ;
  • La zone 3, bien qu’étant la plus éloignée de notre pratique (allure supérieure à 85% de la VMA) produit des adaptations physiologiques indéniables. Trop de coureurs, à tort, en font l’impasse. Il s’agira donc d’en inclure 1 séance par semaine minimum.

Fort de ces considérations, le tableau ci-dessous propose une répartition des séances en fonction de chaque zone. La répartition 80% zone 1 – 20% zone 3 valant pour le temps total d’entrainement, celle-ci a été traduite en terme de dominante de travail au sein de la séance. Ceci étant admis que l’échauffement et le retour au calme s’effectueront toujours en zone 1. 

 

Trail long et ultra-trail

Trail court (coureur novice)

Marathon, semi-marathon et trail court (coureur confirmé)

Nombre de séances par semaine

4

6

8

4

6

8

Zone 1 ou faible intensité

3

4

5

2 à 3

3

5

Zone 2 ou intensité modérée

0

0

0

0 à 1

1

1

Zone 3 ou haute intensité

1

2

3

1

2

2

Sources :

  • BENEKE R et M Hutler. The effect of training on running economy and performance in recreational athletes ; 2005
  • BILLAT VL, DEMARLE A, SLAWINSKI J, PAIVA M, KORALSZTEIN JP. Physical and training characteristics of top-class marathon runners; 2001
  • LE MEUR Yann; “Avance pépère”; Sport et Vie 140
  • MILLET Guillaume; “Ultra-trail : plaisir, performance, santé”
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